Abstrak
Far from the world, the island is the world: The island ecotones of the Indian Ocean between creolisation and liquid borders. Due to their specific geography and plural histories, the island societies of the south-western Indian Ocean are characterised by a considerable anthropological and cultural complexity. Colonial regimes and migratory and diasporic phenomena have strongly marked these territories on the oceanic borders as well as their social construction and particular ethno-racial composition. Island-as-utopia, island-as-prison, island-as-refuge, island-as-stopover, island-as-relation, island-as-world … there is no shortage of notions to imagine and describe these heterogeneous places where the realities, potentialities, and limits of (post)colonial cultural plurality are negotiated. For behind the tropical dreams and the exaltations of harmonious cohabitation (vivre-ensemble) appear the precariousness of the island condition, the ambiguity of identity, and the difficulty of anchoring oneself in and expressing oneself from a place which continues to be significantly shaped by its relations with the outside (the old and new ‘metropolises’ and places of reference, other islands). To what extent can the specificities of the Indian Ocean islands – this other ‘archipelago’ less visible than its Caribbean counterpart – inform and nourish continental territories, France, the world? Are they models of ethical solidarity? Antidotes to identity-based blockages? Laboratories of democratic thought? Creative prefigurations of the future? It may well be. However, according to certain thinkers, writers and artists from these spaces, the islands and archipelagos – far from being the idealisations of a vitalist and blissful community (en-commun) – prove to be above all plural and conflicting contact zones. They emerge as complex ecotones that allow us to imagine and think about the challenges of our contemporary societies and cultures from the ‘margins’, the interstices, the unstable borders.
Keywords: Indian ocean; island; literature; Mauritius; ecotone; creolisation; postcolonial.
Cet article entend offrir une contribution à la discussion sur les îles et l’insularité – et ce d’une perspective doublement « périphérique » : d’abord, en termes d’insularité concernant les îles du sud-ouest de l’océan Indien ; puis parce que cet océan reste beaucoup moins connu que ses homologues de l’Atlantique et du Pacifique, du moins dans des milieux universitaires nord-américains et européens (Vink 2007 : 42), même si l’on observe depuis une vingtaine d’années un intérêt grandissant pour cette zone de contacts et de conflits longtemps négligée. On peut en dire de même quant à la littérature de l’océan Indien, cet ‘autre archipel hybride’ (Hawkins 2007), bien moins visible que son pendant caribéen.
Si l’océan Indien est dorénavant de plus en plus considéré comme un point d’observation privilégié pour suivre l’évolution de l’ordre mondial (Hofmeyr 2010 : 721), l’intérêt de son cas repose dans le fait qu’il échappe à l’héritage hégémonique de la cartographie européenne (Vergès 2003a : 247). Mais sa prise en considération s’impose aussi parce qu’il ouvre sur de nouveaux récits de circulation et d’émancipation, permet de voir des formes alternatives d’appartenance et de s’imaginer de nouvelles politiques de solidarité.
Il semble donc judicieux de reprendre pour le cas indianocéanique et ses îles périphériques la réflexion du romancier guyanais Wilson Harris (1999) qui souligne que:
[L]a réponse alchimique véritablement créative à des formes de crise, de conflits, de privation pourrait bel et bien venir de l’autre côté d’une civilisation dominante, des extrémités, d’imaginations et de ressources apparemment non pertinentes. (p. 85)1
C’est en effet à partir des ‘marges’, des interstices, des frontières instables de ces îles périphériques que les productions littéraires qui en émanent semblent parvenir à dire et à penser les défis de nos sociétés et cultures contemporaines, et par la même, à imaginer des visions créatives et émancipatrices pour l’avenir.
L’idée avancée ici est donc que les îles – en tant que lieux denses, univers en miniature et laboratoires – de même que leurs créations artistiques et littéraires nous informent et sensibilisent non seulement sur elles-mêmes, mais sur les réalités et problèmes du monde. Certaines des postures littéraires et conceptualisations critiques de l’océan Indien prennent ainsi une dimension emblématique, voire paradigmatique, et contribuent à une pensée transnationale renouvelée.
L’île : D’un objet d’étude pluriel au chant poétique
Depuis une trentaine d’années, l’île et l’espace insulaire se sont transformés en un objet d’étude privilégié pour des chercheurs de diverses disciplines et le concept d’insularité – dans son acceptation d’isolement et de limitation (insularity), mais aussi quant à ses marques distinctives (islandness) – a fait l’objet de nombreux débats et généré de nouvelles approches. Au sein de ce champ appelé ‘nissologie’2, l’on observe des propositions d’une phénoménologie des îles (Hay 2006) et un nombre grandissant de travaux géographiques, environnementaux, d’anthropologie sociale qui conçoivent les îles comme des espaces de négociation d’identités, de langues, de migrations. On aborde ces territoires dans leurs relations, entre autres à travers la notion d’archipel (Pugh 2013), menant alors à des essais d’une ethnographie archipélagique qui s’appuie sur le modèle relationnel (relationality) des îles et archipels pour penser plus largement des phénomènes sociaux de divers espaces et lieux (Mahajan 2021)3. De plus, dans les travaux sur l’imaginaire national de l’anthropologue Thomas Eriksen (1998), la société insulaire joue un rôle central, comme dans les études sur la diaspora et la migration de Robin Cohen (2017 ; aussi Cohen & Sheringham 2016). Enfin, c’est également l’architecture et le design qui se sont approprié les notions d’île et d’archipel comme métaphores de modèles urbains (McGrath 2021). Ce n’est là guère étonnant, car, comme le dit John Gillis, les îles, parmi toutes les topographies, ont peut-être le plus grand pouvoir métaphorique (Gillis 2014 : 158).
Par ailleurs, en résonance avec le constat que l’île continuerait à être confrontée au regard colonial dans notre mondialisation contemporaine (King 2009), et si l’on considère que l’île reste au cœur de représentations exotiques, notamment du Sud – Victor Segalen ne disait-il pas « L’exotisme est volontiers “tropical”. Cocotiers et ciels torrides. Peu d’exotisme polaire » (Segalen [1978] 2007 : 33) ? –, l’on voit des appels à inscrire les études sur les îles dans le tournant décolonial (Nadarajah & Grydehøj 2016). La récente anthologie de référence, The Routledge International Handbook of Island Studies (2020) ne contient pas moins de 500 pages ; la revue Island Studies Journal est dorénavant une référence établie. Autant dire que l’objet est vaste et complexe ; le champ en expansion. Sans oublier que la ‘nissologie’ trouve bien évidemment de nombreux points de jonction avec la ‘thalassologie’, l’étude des mers et des océans.
À mesure que les questions océaniques, et plus généralement les études transnationales, prennent de l’ampleur dans le monde universitaire, l’océan Indien nous oblige à élargir nos axes de recherche – et ce notamment dans l’analyse des questions socio-économiques et ethnoculturelles, des rapports de domination passés et présents, de l’esclavage et de la diaspora où l’Atlantique s’est imposé comme le modèle normatif (p. ex. Gilroy 1993). Car, comme le dit Isabel Hofmeyr, la profondeur historique et la complexité des appartenances au sein de l’océan Indien compliquent les binarismes en nous éloignant des grilles de lecture habituelles (p. ex. la résistance locale, la domination globale) pour nous rapprocher « des archives historiques profondes des universalismes concurrents » (Hofmeyr 2010 : 722). En effet, l’hétérogénéité des cultures et des civilisations de l’océan Indien a mené à la création de ce que Françoise Vergès appelle des « civilisations de frange » (Vergès 2003a : 248), qui témoignent des processus persistants (bien que constamment renouvelés et reconfigurés) de créolisation.
L’espace insulaire qui nous intéresse ici comprime souvent ces systèmes et références socio-économiques et ethnoculturels. Avec diverses circulations historiques et contemporaines de personnes, de biens et d’idées, l’île devient en effet une zone de contact, de rencontre et de conflit, un lieu d’intersections, de « branchements » (Amselle 2001), d’émergence et de cristallisation de nouvelles réalités, formes et idées. Cela concerne notamment l’île du monde créole, qui est aussi appelée « île-archipel », et ce moins en raison de son supposé territoire archipélagique, mais à cause de son hétérogénéité interne (Vergès & Marimoutou 2005 : 13).
Cet article suivra donc l’idée d’interpréter des îles comme des sociétés en miniature qui offrent la possibilité de communication et d’échange. Et au-delà de la nécessité de concevoir l’île dans son écosystème spécifique, c’est-à-dire son articulation écotonale avec l’espace maritime (Gillis 2014 : 155) – on reviendra sur la notion d’« écotone » –, on lui confère effectivement un certain aspect paradigmatique pour d’autres espaces-temps.
Cela dit, avant de poursuivre, considérons brièvement un poème du plasticien réunionnais Jacques Beng Thi intitulé « Îles » (1997) :
Il y a des îles
Grandes îles
Petites îles
Presqu’îles
Continent éparpillé dans les mers et les océans
Grains de beauté du monde…
…………………………….
Îles enchaînées depuis l’aube des temps à l’odeur du sucre
Îles remplies d’arbres puissants, mémoire des forêts
Îles à oiseaux-coccinelles qui vivent sur la longue route du
désastre
Îles à sel submergées et rongées par des océans féconds
Îles aux vents soufflant dans l’amour leurs spores aux mille
couleurs de peau
Îles à ‘Jakos’ qui dansent la misère du monde dans la rage des
sorciers
Îles en chapelet pour conjurer l’histoire amère du sang noir
Îles en révolution pour vaincre l’héritage des négriers
Îles à parfums aux mille désirs incrustés dans le cœur des
madrépores
Îles volcans gardiens du feu sacré de la terre
Îles des solitudes sans fond où se consume la vie des parias
Îles cachées dans la brume où résonne le chant des sirènes en
exil
Îles alambics où se distille dans la rumeur des grands larges le
credo des peurs ancestrales
Îles de glace, cathédrales dressées comme des diamants à la
surface du temps immémorial
Îles désertes, refuge de la pensée d’oiseaux migrateurs
……………………………..
Il y a aussi des îles sans nom qui martèlent depuis leur
naissance
le mot liberté
(Beng Thi 2010 : 99)
Ces lignes, qui font partie d’un ouvrage hybride qui jouxte images et textes en plusieurs langues, montrent que la question de penser l’espace et l’imaginaire insulaires constitue une préoccupation centrale dans les productions de créateurs, d’artistes et d’écrivains des territoires « périphériques » de l’océan Indien. Plus précisément, on y voit une quête de dire l’insularité dans sa multiplicité et son caractère relationnel.
En effet, dans cette contribution poétique à sa « cartographie de la mémoire », l’artiste réunionnais décline les multiples identités des îles – et ce d’abord en termes géographiques, géologiques et climatiques, puis historiques et culturels. Enfin, il inclut aussi les sensations dégagées par les îles et les « lectures » phénoménologiques qu’elles permettent. Outre les références aux éléments naturels, aux sens, au « sacré », à la mythologie indienne, il dit le passé colonial (l’enchaînement à « l’odeur du sucre », « l’histoire amère du sang noir ») face auquel il appelle de ses vœux un au-delà des « peurs ancestrales » pour « vaincre l’héritage des négriers ». D’autres séquelles de l’histoire minoritaire se retrouvent aussi dans l’évocation de la « solitude […] des parias » tandis que l’image des « sirènes en exil » fait écho à l’imaginaire de l’ailleurs insulaire, à la question de la diaspora (ancienne ou nouvelle), à cette « constante insulaire » que constitue l’expatriation (Pantalacci 1995). Si l’éventail de la déclamation explicite et directe de Beng Thi semble donc large (comme le laisse sous-entendre le terme « îles de glace »), certaines références localisent enfin ce propos poétique dans les îles indianocéaniques ou l’insularité (post)coloniale, à l’histoire violente et accélérée via l’esclavage, la zone de contact coloniale, la migration, etc.
Beng Thi mobilise ainsi des motifs d’une visée poético-politique et mémorielle, et parle manifestement non pas de l’île (ou de son île), mais plus généralement des îles, suggérant une dimension et ampleur plus larges, tout en ouvrant sur le monde, par l’intermédiaire d’échos plus ou moins subtils. Une telle mise en relation entre géographies et temporalités se retrouve, souvent de façon encore plus explicite, dans d’autres propositions littéraires et critiques de la zone, comme Amarres de Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou. Ces textes, à l’instar du rhizome glissantien, mettent en avant une insularité plurielle et relationnelle où l’océan Indien se présente comme un ensemble, avec de multiples formes d’échange, de coopération, de dialogue. Mais, de plus, l’expérience (historique et contemporaine), l’imaginaire et la projection dans l’avenir de cet espace-temps insulaire spécifique y deviennent points de repère, références, objets d’imagination productifs pour d’autres lieux ; pour concevoir, penser et négocier – à partir de cet ancrage particulier – « une méthodologie pour vivre-ensemble » (Vergès & Marimoutou 2005 : 61) certes localisée, mais aussi, plus globalement, envisageable pour d’autres contextes.
Le texte indianocéanique – d’autres exemples discutés ultérieurement le montreront –, tout en disant et négociant ses particularités propres, inscrit donc son territoire de référence dans un espace-temps plus large. Il peut ainsi se vêtir d’une certaine dimension paradigmatique, par exemple à travers le « travail d’imagination morale » (Thomas 2019 : 343) qu’il déploie, susceptible de nous permettre de réfléchir avec « empathie et […] relationnalité » (Thomas 2019 : 343) à notre monde actuel. On y voit moins l’universalisation d’une création et d’une pensée situées et ancrées. S’y énonce et s’y promeut davantage l’idée de la mise « en-commun », proposée par Achille Mbembe (2016), c’est-à-dire une dynamique en faveur de la co-élaboration et de la co-construction culturelles au-delà du poids des catégorisations et hiérarchisations.
L’île-(dans-le-)monde
L’idée de la signification de l’île comme monde qui se retrouve dans de nombreux textes insulaires contemporains indianocéaniques s’appuie sur une méthodologie qu’on relève dans les travaux d’Elizabeth DeLoughrey, et notamment son approche de voir l’allégorie comme un mode rhétorique fondamental pour s’imaginer notre planète (2019 : 18). En effet, concevant dans son ouvrage Allegories of the Anthropocene l’île comme une analogie du monde en général, la chercheuse souligne autant la géographie restreinte (ou limitabilité) de l’île que sa perméabilité, par exemple à travers des flux et des mobilités de personnes qui la prédisposent à des changements radicaux (2019 : 6). Si la finitude de l’île s’avère par ailleurs ici comme un concept utile pour l’époque de l’Anthropocène et ses frontières planétaires (DeLoughrey 2019 : 6), l’île constitue la synecdoque, le pars pro toto, par excellence.
Mais l’île est aussi un objet analogique qui contribue aux discussions au sein des sciences humaines qui privilégient une pensée et une action locales – par exemple au sujet des humanités environnementales – face aux défis mondiaux. L’île devient ici une figure de référence essentielle, dans son lien au global et au tout (DeLoughrey 2019 : 9). Au sein des études sur la mondialisation et ses rapports dialectiques « particulier-universel », elle représente ainsi une entité située particulièrement significative – ce qui ne rend pas automatiquement ses réalités singulières transparentes et traduisibles dans des contextes autres; on se rappelle ici la revendication de Glissant quant au droit à l’opacité (Glissant 1990 : 209).
Par ailleurs, comme le dit DeLoughrey, ce télescopage en termes d’échelles (‘scalar telescoping’) suit une longue tradition critique de contestation, de déstabilisation, de « provincialisation » des récits universalisants (DeLoughrey 2019 : 10). L’île s’avère ainsi une référence clé pour la pensée postcoloniale. Au-delà du domaine écologique, nous reprenons donc le crédit et l’expérience particuliers que la critique confère aux écrivains et artistes insulaires en raison de leur trajectoire historique singulière. Elle dit :
Island writers and artists have long engaged […] questions of modernity, rupture, and […] violence that result from empire. […T]hey have a complex history of staging paradoxical relations between the local and global, posing allegorical antinomies or paradoxes for figuring the island as a world. (DeLoughrey 2019 : 10)
Il n’étonne alors guère qu’elle parle de l’île comme une « figure fondatrice » (DeLoughrey 2019 : 18) pour des configurations spatiales tant microscopiques que macrocosmiques – et ce en raison de leur longue association avec l’expansion impériale et l’exploitation coloniale (l’esclavage plantationnaire, l’engagisme). L’intérêt de cette proposition repose ainsi dans la double articulation simultanée de l’île-comme-monde (‘island-as-world’) et son extension relationnelle de l’île-dans-le-monde (‘island-in-the-world’). Cette idée du vécu, de la perception, de la sensibilité particuliers de l’écrivain et de l’artiste insulaires – en effet, force est de reconnaître que l’expérience de rupture (disembedding) du lieu, la compression de l’espace-temps et la modernité elle-même ont été éprouvées d’abord dans les colonies (DeLoughrey 2019 : 28) – est très présente chez les écrivains de l’océan Indien.
On peut se référer ici à un récent entretien avec la romancière, journaliste et dramaturge mauricienne Shenaz Patel au sujet de la notion d’« écotone » qui désigne un espace de contact culturel, de rencontres, de conflits entre individus, groupes et communautés; une zone transitoire de la relation, de la confrontation, possiblement génératrice de nouveauté. Interrogée sur la manifestation de cette logique « écotonale » autant au sein des sociétés insulaires de l’océan Indien que dans son travail littéraire, sa réponse paraît intéressante pour notre sujet. En effet, selon l’auteure, non seulement la littérature en général parlerait de la relation, de ses conditions, de ses enjeux, de ses limites, mais la production insulaire aurait une certaine spécificité à cet égard. Les textes mauriciens seraient irrigués par « [t]outes ces réalités de rapports de force, d’espaces à négocier » spécifiques des îles en tant qu’il s’agirait de « petits espaces où tout est concentré », de « véritables caisses de résonnance [où] ces réalités “écotonales” sont décuplées » (Arnold 2020 : 294). Autrement dit, l’île – et, par extension, sa littérature – est, dans les mots de l’écrivaine, le lieu où « le monde se joue sur un confetti » (Arnold 2020 : 294).
Cette évocation permet de faire le lien avec un court texte de Patel, intitulé de façon significative « Ces îles que nous portons en nous, ces îles que nous sommes ». Dans cette postface à son récit intime Paradis Blues (Patel 2014), l’idée de l’île comme condensé du monde est articulée avec celle de l’identité insulaire de tout un chacun et le rôle émancipateur de l’écriture. Patel signale, d’un côté, le poids des stéréotypes tropicaux et les mythifications de la prétendue douceur insulaires en opposition à « la violence de l’espace-temps particulier de l’île » (p. 58) : la géographie limitée ; l’obsession généalogique et le fantasme de l’enracinement ; la promiscuité et l’omniprésence du regard de l’autre ; la sensibilité du vivre-ensemble exigu ; ce qu’elle appelle « le séisme quotidien » de l’épreuve existentielle « sous le miroir des eaux calmes » (Patel 2014). De l’autre côté, l’écriture est parée d’une fonction émancipatrice, révélatrice et annonciatrice dans la mesure où « tout être [serait] une île, ceint par l’omniprésente barrière de corail de ses doutes, des contradictions, ses certitudes aussi, cerné par l’horizon, désiré autant que craint, des autres » (Patel 2014). L’émancipation et la révélation scripturaires s’opèrent donc dans l’isolement productifs, dans un espace à l’abri des déterminismes extérieurs et nourri par la complexité intime ; mais un espace ultimement tourné vers le futur et les potentialités de l’ailleurs (l’horizon), et du rapport aux autres.
Si l’écrivaine fait donc ici un plaidoyer général pour l’écriture qui servirait à « aller à la recherche du mystère qu’est chaque être humain » (Patel 2014 : 57), il est important de souligner que cette prise de position s’énonce depuis – et est informée et alimentée par – le lieu spécifique qu’est l’île : cet espace-temps « [a]u milieu de l’eau » (Patel 2014 : 58) dont le destin serait d’entonner des chants expressifs, pluriels, disparates, entre « suavité et douleur, [entre] sérénité et révolte » (Patel 2014 : 59)4. Autrement dit, c’est à partir de ce lieu « au milieu de l’eau » – donc signifié par son isolement, sa bordure et suggérant les réalités qui le constituent: les origines extérieures, la concentration, la zone de contact, la mise en relation, l’assemblage, l’intégration, le conflit, la conscience aigüe des marges et de la périphérie, etc. – que s’exprime cette vision téléologique de manifester – ou de chanter – la pluralité des identités et le dialogue entre les différences. La conception de l’auteure que « tout être [serait] une île » (Patel 2014 : 58) dépasse alors la métaphore commune. Elle se fonde plutôt sur des réalités et des expériences bien précises: le poids historique, la contrainte spatiale, les verrouillages ethnoreligieux, d’une part ; la présence de l’interculturel, la sociabilité et le partage identitaire, de l’autre. Car c’est l’île, en tant que singularité foncièrement hétérogène, aussi bien dans sa matérialité que dans ses significations symboliques, qui éclaire notre complexité humaine. La littérature de l’île devient ainsi un espace de création privilégié pour dire, penser et négocier ces réalités.
Que la pluralité des appartenances et l’exil puissent s’avérer des terreaux fertiles malgré (ou grâce à) leurs tensions, conflits et contradictions, voilà dont témoigne le poète Khal Torabully. Dans Cale d’étoiles. Coolitude, son manifeste poétique pour une identité indo-mauricienne métissée, il se voit lui-même et les îles comme étant dépositaires d’une diversité d’histoires, de mémoires, de langues. Sa « coolitude » se décline alors ainsi : « je suis créole de mon cordage, je suis indien de mon mât, je suis européen de la vergue, je suis mauricien de ma quête et français de mon exil » (1992 : 105). Et ajoute : « Je ne serais toujours ailleurs qu’en moi-même parce que je ne peux imaginer ma terre natale. Mes terres natales ? » (Torabully 1992). Enfin, si la complexité linguistique est un autre jalon de sa quête identitaire (« Dans nos langues, nous sommes à la frontière féconde des codes, pour ouïr une parole entre nos vocables d’esclaves et de maître », Torabully 1992)5, il finit par affirmer la poésie comme sa « vraie langue maternelle » et le monde (la « Terre ») comme sa « seule terre natale » (Torabully 1992).
L’auteur s’oppose dès lors à « toute querelle de frontière », pour « partager notre héritage commun » (Torabully 1992) et pour porter « ces valeurs d’homme que l’île a échafaudées à la rencontre des fils d’Afrique de l’Inde de Chine et de l’Occident » (Torabully 1992 : 107). C’est donc le chant de cette pluralité passée et présente qui lui permet de se positionner comme « homme en devenir » et d’aller, depuis cette histoire d’errance et d’enracinement spécifique, vers « d’autres horizons » et de s’imaginer un « devenir humain » (Vergès & Marimoutou 2005 : 13) plus fraternel. Chez Torabully, aussi bien l’île et la poésie signifient comme un condensé d’univers – de langues, de cultures, de valeurs, de visions – à la hauteur de l’humanité.
Comme ces voix littéraires dessinent des identités expérimentées et appréhendées à la croisée des mondes (île-monde), de même que leur potentiel et pouvoir d’extrapolation (île-vers-le-monde), la notion déjà mentionnée d’écotone paraît particulièrement productive pour saisir les espaces insulaires indianocéaniques.
L’île-écotone et les contours liquides artistiques
Le concept de l’écotone a été utilisé par les écologistes pour décrire les zones de transition entre deux écosystèmes tels que la forêt et la savane, ou la mangrove entre la terre et la mer. Dérivé du grec pour « foyer » et « tension », le terme est défini, au début du 20e siècle, par des botanistes (Frederic E. Clements) d’abord comme une ligne de tension entre deux zones ou habitats, puis, dans les années 1970, par des écologues (Eugene Odum) comme une zone de jonction ou une « ceinture de tension » entre deux ou plusieurs communautés. Selon ces chercheurs, la population écotonale contiendrait des organismes de chacune des communautés qui se chevauchent et ceux qui sont uniques à l’écotone. S’y ajouteraient enfin la densité et la grande variété de la population écotonale désignées comme « l’effet de la bordure » (the edge effet)6 ; l’interaction et l’entremêlement y semblent particulièrement féconds.
En raison de la caractérisation des écotones comme bordures fluides et impermanentes, comme espaces liminaires qui mettent en relation, introduisent du changement, produisent de la diversité à travers la superposition, l’échange, l’interférence, la compétition, l’hybridation, le concept s’est vu déterritorialiser, au sens deleuzien, de l’écologie vers les sciences humaines et sociales. Ainsi, en 1994, Florence Krall fait de l’écotone une « métaphore culturelle » pour décrire des contextes pluriels d’où émergent la rencontre, le conflit, le changement. Concevant la marge outre sa dimension séparatrice et isolatrice, elle affirme, avec Julia Kristeva, la bordure comme « demeure », parle des « êtres aux croisements ». Si son étude articule ethnoécologie, féminisme et spiritualisme et qu’elle comporte une manifeste dimension autobiographique et psychologique, une telle métaphorisation de l’écotone pour informer les relations interculturelles paraît productive. Car si le changement et l’évolution sont essentiels à toutes les communautés naturelles et culturelles, le changement est particulièrement évident et inévitable dans l’espace liminal et écotonal (Krall 1994 : 4). Les phénomènes de créolisation dans les îles en sont l’illustration parfaite7.
Comme le montrent des études sur des ports maritimes (Gallaway 2005) ou les bords de mer et les plages (Gillis 2012), les écotones s’observent notamment dans l’interface hétérogène entre terre et eau, avec l’investissement de nombreux agents dans le processus. Car la vie dans cette zone de tension et de transition a nécessité des phénomènes d’adaptation, mené à une « conscience côtière » (Gillis 2014 : 163) : vivre non seulement sur le bord de, mais avec la mer (p. ex. quant à des cyclones). Elle est intimement liée à l’expérience migratoire. Autant de raisons de concevoir les espaces écotonaux effectivement comme essentiels à l’évolution humaine (Gillis 2014 : 164).
Dans l’optique de remettre l’écotone au cœur du débat des études culturelles et littéraires, un récent ouvrage issu d’un projet pluriannuel (eds. Arnold, Duboin & Misrahi-Barak 2020)8 explore les frontières et les écotones socioculturels, notamment dans les écritures fictionnelles de la zone. En effet, au sein de ces dynamiques de création, les auteurs indianocéaniques repensent l’océan, revisitent son histoire, contribuent à forger de nouvelles cartographies qui éclairent les complexités spécifiques de la région et au-delà. Ils (ré)inventent un espace dans lequel le littoral et les îles s’avèrent des sites écotonaux autant de friction, de rupture, de passage, que de production, de gestation, de fusion. Ils produisent une esthétique hybride qui s’approprie et retravaille les modèles littéraires et les langages dominants à travers l’art du métissage et les processus de créolisation. Autant de dynamiques créatives et de vecteurs d’identité qui, depuis l’océan Indien, peuvent informer sur les défis du monde.
À cet égard, le travail de Yasmine Attoumane, plasticienne réunionnaise, paraît remarquable. Elle articule ses propositions dans les surfaces mouvantes (l’eau, la plage), comme on le voit dans sa performance intitulée Rivage I, Ravine des Sables dont voici quelques captures d’écran (fig. 1).
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FIGURE 1: Rivage I, Ravine des Sables (vidéo, captures) @ Yasmine Attoumane |
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L’on observe ici la tentative impossible de tracer la frontière exacte entre mer et terre, et par la même, la difficulté de réfléchir sur les questions de délimitation et d’instabilité, et ultimement sur la précarité du territoire. Manifeste dans le titre de son projet (« Territoires précaires »), cette précarité traduit une conscience de fragilité de l’artiste par rapport à la géographie physique autour d’elle; sentiment de fragilité qu’elle partage avec d’autres créateurs insulaires. Entre l’investissement du lien à l’île et du lien à l’ailleurs, la « frontière liquéfiée » (Attoumane 2021 : 28) devient ainsi métaphore tant d’une quête territoriale que d’un positionnement identitaire.
Par ailleurs, cette notion des contours liquides à travers les moyens plastiques de la ligne et du trait performatifs s’associe dans le travail d’Attoumane aussi à d’autres matérialisations de la frontière, comme le montre son installation Le Mur Blanc (fig. 2).
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FIGURE 2: Le mur blanc (vidéo, capture) @ Yasmine Attoumane. |
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L’espace écotonal de la plage se présente ici comme un environnement particulièrement expressif. Et ce non seulement pour montrer la « limitabilité » et l’isolement de la géographie insulaire, mais également pour signifier en tant que lieu de passage par excellence pour des escales et de flux migratoires; pour faire ressentir et penser la dimension construite et artificielle de nos frontières, leur caractère ultimement éphémère et transitoire.
L’île dans l’océan-complexificateur : Diaspora, géopolitique, hospitalité
L’articulation proposée par DeLoughrey entre l’île-comme-monde (‘island-as-world’) et l’île-dans-le-monde (‘island-in-the-world’), notamment focalisée sur l’insularité post-esclavagiste et post-plantationnaire, mais aussi la notion de l’écotone semblent enfin trouver des résonances fructueuses avec les travaux d’Isabel Hofmeyr. La chercheuse tente de systématiser la (re)présentation et perception de l’océan Indien, d’en faire une « méthode » particulière, en raison des complexités qu’il revêt (Hofmeyr 2012). De plus, elle lui confère un certain caractère paradigmatique, parle de son « universalisation » (Hofmeyr 2010), grâce aux points d’observation et aux perspectives privilégiées qu’il offre sur le monde contemporain. Dans sa focalisation sur un transnationalisme Sud-Sud, Hofmeyr conçoit ainsi un nouveau paradigme entre l’Atlantique noir et envisage l’océan Indien, malgré sa diversité interne, en tant qu’unité socio-historique et ethnoculturelle. En particulier l’île et la traversée maritime sont alors pensées comme des sites d’une signification majeure dans le cadre de la littérature indianocéanique.
D’abord, l’île devient l’incarnation des expériences de l’esclavage et de l’engagisme dans l’océan Indien, notamment l’île créole (ou créolisée) qui – dans une sorte d’amplification du modèle caribéen (‘a kind of ultra-Caribbean model’, Hofmeyr 2007 : 9) – dépasse le cadre de référence à la nation. Cette expérience insulaire spécifique permet de générer des concepts pour penser l’océan Indien plus largement – l’océan comme « paysage mental » ou ‘seascape’, diraient Vergès and Marimoutou (2005 : 25).
Ensuite, elle met en avant l’expérience fondatrice (et, rajoutons, significative et représentative) de la traversée maritime (les diverses formes de circulation, entre la migration volontaire et la déportation forcée) tout en soulignant la complexité particulière des catégorisations habituelles de l’imaginaire racial (l’esclave comme Africain, l’engagé comme Indien, le colon comme Blanc européen). À partir de ces particularités de l’océan Indien en tant que réseau de circulation très ancien, elle pense cet espace comme le site par excellence de « modernités alternatives »9. Voilà une idée proposée déjà dans le texte poético-identitaire Amarres où l’océan Indien est décrit comme « un espace sans supranationalité ni territorialisation précise » ou encore « un espace culturel, à plusieurs espaces-temps qui se chevauchent, où les temporalités et les territoires se construisent et se déconstruisent » (Vergès & Marimoutou 2005 : 26).
L’océan Indien nous permet ainsi deux mouvements conceptuels et critiques. D’une part, il nous invite à repenser les rapports de domination au-delà de leur politisation et racialisation habituelle. En effet, avec la complexité de la servitude dans cette zone et un important degré de mobilité, la frontière entre l’esclave et le libre est en perpétuelle évolution – avec des séquelles jusqu’à aujourd’hui. L’exemple indianocéanique ouvre ainsi de nouvelles pistes de réflexion sur l’ethnicité et la race, nous faisant voir (autrement) la relative fluidité et ambiguïté des catégories identitaires.
D’autre part, l’océan Indien nous invite à repenser l’idée de la diaspora, surtout à partir de ses espaces insulaires. En effet, si par exemple la théorie postcoloniale a souvent retenu une identité diasporique socialement élevée (et y a associé une rhétorique valorisante : l’hybridation féconde, les identités trait d’union, le cosmopolitisme), l’océan Indien dresse un tableau plus compliqué. L’on y trouve, par exemple, des identités diasporiques qu’Hofmeyr désigne comme « ratées », « manquées », qui ont « échoué » (failed diasporas), c’est-à-dire des personnes déplacées qui n’investissent pas (ou, rajoutons, qui ne peuvent investir) des projets mémoriels et de construction de patries (homelands), réelles ou imaginaires. Si l’océan Indien incite à une forte différenciation de l’analyse des diasporas, il convient ainsi de parler, dans les îles notamment, de « postdiaspora » en raison des multiples phénomènes générés par l’expérience de la créolisation.
Ces ouvertures et perspectives sont très présentes dans la production littéraire de l’océan Indien, quelques exemples littéraires mauriciens sur la diaspora, la géopolitique, l’actualisation de violences historiques ou encore l’hospitalité en apportent la démonstration.
Diasporas, passés et présents
Un engagement notable avec la diaspora s’observe dans le roman Les rochers de Poudre d’or (Appanah 2003) de Nathacha Appanah qui met en scène l’engagisme, ce recours à des travailleurs indiens pour remplacer les esclaves dans les plantations sucrières après l’abolition au milieu du XIXe siècle. Appanah propose une archive à plusieurs couches sur cette question servile et résiste à l’élan identitaire, à la fiction d’homogénéité, à l’idée fermée de la diaspora. Tout en investissant certains motifs des romans conventionnels de ce type (la dialectique entre la quête de l’eldorado et la désillusion, l’hommage rendu aux ancêtres), elle brosse un portrait polyphonique et nuancé des acteurs historiques (dominants et dominés) et n’hésite pas à démystifier des traditions indiennes, de surcroît d’une perspective féminine. Son roman ne se complait donc ni dans la victimisation ni dans une quelconque mythification ou romance d’un « héroïsme coolie » (Ravi 2007 : 19–45). Car, il n’y a pas de passé glorieux à retrouver (Vergès 2003a: 251) dans « ce pays », comme le dit la protagoniste du Portrait Chamarel de Patel, « dont tous les fils de roturiers sans le sou, d’esclaves et de coolies se fabulaient descendants d’une illusoire noblesse française, de princes indiens ou de shahs persans » (Patel 2001 : 60). Enfin, tout en investissant un passé précis d’une communauté spécifique, Appanah s’ouvre à d’autres subjectivités dominées pour élargir l’éventail ethno-social et pointer vers des phénomènes post-diasporiques plus complexes, qui sont par exemple mis en scène dans les textes d’Amal Sewtohul.
En effet, dans le roman Histoire d’Ashok et d’autres personnages de moindre importance (Sewtohul 2001), Sewtohul interroge, avec humour, les défis de la société insulaire contemporaine à l’aune de la devise multiculturaliste de la « nation-arc-en-ciel » prétendument « unie dans sa diversité » (Sewtohul 2001 : 94). Plus récemment, dans Made in Mauritius (Sewtohul 2012), l’auteur offre l’image satirique d’une société de bricolage, d’un peuple décrit comme « les produits ratés de la grande usine de l’histoire » (Sewtohul 2012 : 126), tout en inscrivant l’île – par le biais d’un conteneur maritime venant de Hong Kong qui devient une « matrice » (Sewtohul 2012 : 109) pour le protagoniste nomade – dans un flux global d’hommes et de marchandises et par la même, dans la continuité des mouvements diasporiques d’hier. Une métaphore puissante, tant comique que subversive d’« identités en mouvement », le conteneur signifie ainsi comme une île dans l’île (un ‘island-as-world’ en miniature) qui, comme telle, circulera vers le monde (‘island-in-the-world’).
Or, que ces flux globaux puissent prendre des dimensions existentielles plus inextricables – allant jusqu’à mettre à mal toute possibilité même de diasporisation –, c’est ce que montre le roman au titre parlant Ceux qu’on jette à la mer (De Souza 2001) de Carl De Souza. Sur un ton bien plus pessimiste et naturaliste que les jubilations postmodernes de Sewtohul, De Souza y traite de l’histoire de boat people chinois qui s’embarquent dans une errance sans fin dans l’océan Indien, anticipant de ce fait sur les drames migratoires de textes indianocéaniques plus récents, notamment aux Chagos, aux Comores, à Mayotte.
D’âpres logiques géopolitiques
La complexité qui forme le cœur de la « méthode » indianocéanique selon Hofmeyr s’observe aussi dans le cas des Chagos, un archipel occupé depuis les années 1970 par les États-Unis, utilisé, par exemple, pour lancer des raids de bombardement sur l’Afghanistan et l’Irak. C’est le roman Le silence des Chagos (Patel 2005) de Patel qui met en scène cette problématique géopolitique sensible en fictionnalisant des témoignages de Chagossiens et de leurs descendants. Réflexion sur la mémoire, interrogation sur les difficultés du vivre-ensemble multiculturel insulaire, exploration d’une double, voire triple périphérisation, le roman dit ce territoire insulaire, cet « archipel en équilibre précaire » (Patel 2005 : 9) à la croisée des espaces-temps (de Gondwana à l’impérialisme contemporain, de la mythique Lémurie à la société de consommation globalisée, des îles aux continents), mais aussi au carrefour des régimes discursifs (le propos factuel et la parole poétique). La récente republication du texte avec une nouvelle postface de l’auteure (Patel 2018) de même que sa traduction américaine (Patel 2019) montrent l’actualité continue de cette situation géopolitique qui a été condamnée par de nombreux tribunaux internationaux.
Si Le silence des Chagos contribue ainsi à une prise de conscience d’un drame humain peu connu – et surtout avec des ramifications et significations globales (à savoir une manipulation politique et une déportation « au profit du “monde libre” », comme l’indique Patel dans l’épigraphe) –, les auteurs insulaires se font aussi voix d’autres situations géopolitiques complexes de la zone. On le voit dans Tropique de la violence (Appanah 2016) d’Appanah qui traite de Mayotte, nouveau département d’outre-mer français depuis 2011. Ce roman brosse le tableau de cette « île oubliée » (Appanah 2016 : 53) qui « transform[e] » sa jeunesse « en chiens » (Appanah 2016 : 34) et en « assassin[s] » (Appanah 2016 : 35), et ce notamment sur fond d’immigration clandestine d’autres îles de l’archipel des Comores.
Quant à une autre problématique transnationale connexe – c’est-à-dire l’insertion précaire des îles dans les rets de la mondialisation néolibérale –, on l’observe dans Ève de ses décombres (Devi 2006) d’Ananda Devi. L’auteure y raconte le destin croisé de quatre jeunes dans une cité pauvre, frappée par le chômage, la stagnation et toutes sortes de violences. Au cœur de la logique capitaliste, et centrale à l’intrigue, est une usine de textile qui, par sa fermeture, « a dévoré les rêves » (Devi 2006 : 14) des habitants. Car l’injonction à la productivité a amené dans l’île des milliers de « travailleuses invitées » asiatiques à meilleur marché que les locaux. Comme le dit un personnage : « entre les géants américains et chinois, notre pays était une fourmi qu’on ne remarquait même pas quand on marchait dessus » (Devi 2006 : 70). Dans la misère, l’abandon et l’immobilité, les insulaires sont ainsi décrits comme « un gribouillis d’humanité » (Devi 2006 : 69); la violence et l’exil semblent les seuls issus d’une situation complexe qui, tout compte fait, inscrit des îles périphériques une fois de plus dans une histoire de flux de personnes et de capitaux qui structurent la construction matérielle, sociale et culturelle des lieux10.
Hybridations problématiques
De la même manière que les auteurs indianocéaniques nous invitent à ne pas idéaliser le mouvement ou les circulations entre centres et périphéries – car, si « le départ est inscrit dans [les] gènes [des insulaires] » (p. 20) comme on le lit dans Blue Bay Palace (Appanah 2004), c’est souvent pour échapper à ce « pays prison » (p. 10), « ce pays où les horizons se resserrent, cette mer-prison » (p. 85) –, il convient d’explorer dans toute leur complexité les processus de contact, d’appropriation, d’imitation et d’hybridation qui se déroulent dans les îles. Il est ici question des phénomènes de créolisation, mais une créolisation qui, comme le disent Vergès & Marimoutou, « se sait inachevée, soumises aux mutations, à la perte […, qui] est emprunt, mimétique et créatrice » (Vergès & Marimoutou 2005 : 57).
En effet, dans la littérature de l’océan Indien, on voit souvent, au lieu d’un engouement euphorique pour l’hybridité (John Hutnyk parle du ‘hype of hybridity’ 2005), des exemples d’« hybridations problématiques » (eds. Garcia, Hand & Can 2010). Au lieu d’un cosmopolitisme élitiste et glamoureux, l’on y observe des formes de « cosmopolitisme vernaculaire » (Vergès 2003b : 173)11. Il s’agit alors ici de repenser les notions de diversité sociale et de pluralité ethnoculturelle en prenant en considération des réalités conflictuelles, d’éventuelles failles et ambiguïtés tout en interrogeant les discours officiels à ce sujet. Au-delà d’une exaltation du mélange et d’une simple célébration du métissage, de nombreux textes indianocéaniques témoignent en effet d’un vécu difficile des identités multiples, de figures interstitielles ou dans l’entre-deux des appartenances. Ainsi, dans plusieurs romans de Devi, l’hybridation est fortement ambivalente, voire prend une dimension monstrueuse qui offre autant de visions troublantes sur les identités insulaires. C’est là, bien sûr, en lien avec les complexités de la zone de contact, qui, nous disent les auteurs mauriciens, ont généré davantage d’« espaces problématiques » que d’« espaces emblématiques » (Simasotchi-Brones 1999).
En outre, que le communautarisme reste une puissante référence politique, inscrite dans les mentalités et mobilisée comme grille de lecture commode pour des phénomènes sociaux, c’est ce que montre une fois de plus Devi dans Ève de ses décombres où une fille assassinée devient « un symbole racial » (Devi 2006 : 104). Le meurtre s’inscrit ainsi dans « une lourde histoire » officielle – celle « des siècles à être ennemis, esclaves, coolies » – qui « à chaque occasion […] refait surface », alors qu’un jeune personnage affirme la voix du peuple et des pauvres qui n’auraient qu’une « seule identité qui compte » (p. 104). Il dit par ailleurs : « nous nous en fichons des religions, des races, des couleurs, des castes, de tout ce qui divise le reste des gens de ce foutu pays » (Devi 2006 : 104). Voilà un discours social qui s’affirme autant contre les manipulations du communautarisme qu’il arrache les masques de la doxa multiculturaliste officielle de la diversité bienheureuse, « cette île Maurice », comme le satirise un personnage artiste dans Histoire d’Ashok de Sewtohul, « typique, folklorique, exotique, touristique » (Sewtohul 2001 : 203–204). Plus généralement, le passage déconstruit les verrouillages identitaires habituels et leurs logiques culturalistes et raciales simplificatrices.
Du paradigme de la traite à l’hospitalité
Enfin, plusieurs exemples ont déjà pointé vers cette tendance de la littérature insulaire à faire dialoguer les histoires et les identités, notamment autour des mouvements diasporiques et autres logiques de migration – si fondateurs et vitaux pour la construction sociale et identitaire des îles et leurs populations. Dans de nombreux textes, quoique thématisant une histoire et un phénomène précis, résonnent effectivement d’autres histoires et d’autres destins humains.
En témoigne Ceux qu’on jette à la mer de Carl De Souza, où la traversée dystopique des boat people fait subtilement écho à la cale des esclaves, comme le fait, au demeurant, le traitement des déportés chagossiens dans Le silence des Chagos de Patel. Et tandis qu’Appanah, dans Le dernier frère (Appanah 2008), articule discrètement esclavage et Shoah, l’auteure mauricienne anglophone Lindsey Collen juxtapose, elle aussi, différentes violences (et émancipations) historiques dans ses romans. Ces textes, comme d’autres, révèlent une stratégie scripturaire que Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo appelle à juste titre un véritable « paradigme de la traite » (Magdelaine-Andrianjafitrimo 2008). Il s’agit d’élargir les représentations littéraires en mobilisant l’imaginaire du trafic esclavagiste pour d’autres déracinements et migrations contraintes – et par là même faire dialoguer au-delà des époques.
Par ailleurs, il semble que les propositions littéraires récurrentes qui se fondent sur des histoires spécifiques d’exploitation et d’« hommes jetables » tout en permettant des ouvertures à d’autres phénomènes de dislocation et d’exploitation peuvent être mises en lien avec l’idée d’« l’universalisation » du paradigme indianocéanique proposée par Hofmeyr (2012). En effet, on y voit une ouverture des perspectives à travers une extension du cadre particulier, un jeu d’associations, de rapprochements, de comparaisons, d’agencements entre différents univers de référence. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une généralisation où tous les chats de la domination seraient gris, une sorte de nivellement relativiste qui effacerait les différences d’expériences. C’est plutôt un dispositif de mise en relation et de dialogue qui se pose en alternative à la compétition mémorielle et à la concurrence des victimes, et en faveur d’une « mémoire multidirectionnelle » (Rothberg 2009). Dans le roman There is a tide (Collen 1991) de Collen, cette idée s’exprime ainsi: ‘We’re like a family […]. Like dahejbay, ship-brothers, slaves or coolies who survived the same ship voyage’ (155, nous soulignons). De tels essais d’un partage, en vue d’une véritable proposition éthique, nous paraissent au cœur des textes insulaires de la zone.
Cette ouverture se voit notamment dans de récentes œuvres consacrées à l’accablante actualité migratoire, comme dans Tropique de la violence d’Appanah, où les images tristement connues du garçon syrien noyé sur une plage turque sont mises en lien avec les drames de l’archipel comorien. En effet, pour se souvenir qu’à Mayotte, sur « cette île française […,] ici aussi les enfants meurent sur les plages » (Appanah 2016 : 52), l’un des personnages dit :
Oh après tout, ce n’est peut-être qu’une vieille histoire, cent fois entendue, cent fois ressassée. L’histoire d’un pays qui brille de mille feux et que tout le monde veut rejoindre. Il y a des mots pour ça : eldorado, mirage, paradis, chimère, utopie, Lampedusa. C’est l’histoire de ces bateaux qu’on appelle ici les kwassas kwassas, ailleurs barque ou pirogue ou navire, et qui existent depuis la nuit des temps pour faire traverser les hommes pour ou contre leur gré. C’est l’histoire de ces êtres humains qui se retrouvent sur ces bateaux et on leur a donné de ces noms à des gens-là, depuis la nuit des temps: esclaves, engagés, pestiférés, bagnards, rapatriés, Juifs, boat people, réfugiés, sans-papiers, clandestins. (p. 53)
Ce jeu de miroir entre l’Europe et l’océan Indien, suivi d’une réflexion sur la longue durée des identités migrantes – ces personnes qu’Achille Mbembe appelle les « hommes “en trop” » ou « corps-frontières » (Mbembe 2020 : 131) – doit paraître comme un acte de forte solidarité venant d’une écrivaine indo-mauricienne d’abord émigrée en France, puis installée pendant deux ans à Mayotte.
Une proposition similaire, quoique plus explicitement solidaire, s’observe enfin dans le recueil de poésie trilingue Ceux du large (Devi 2017) de Devi. En français, en anglais et en créole, elle suit l’errance des réfugiés, face à « l’océan [qui] les condamne » (p. 9), face aux « rivages hostiles » (p. 10), aux misères et obstacles répétitifs qui paraissent « les mêmes échos » et les « répliques d’un même séisme » (p. 17). Sa poésie devient ici un souffle d’« espoir […] pour ne pas finir dans le noir » (p. 31), et pour clamer notre humanité et notre fragilité communes.
De telles postures de partage éthique et de solidarité, voire d’hospitalité artistiques ne sont bien évidemment pas limitées aux écrivains des îles de l’océan Indien12. Mais il semblerait que leur expérience au contact de plusieurs langues et univers de référence, dans un tissage culturel, social et humain insulaire très particulier, a conduit à une sensibilité quant à l’entremêlement des appartenances, à la confrontation avec l’autre, aux défis des identités multiples ou interstitielles, à la problématique de l’exil et de la perte. C’est en ce même sens « réparateur » que la production insulaire a nourri les littératures du « centre » occidental tout en contribuant à son tournant éthique contemporain.
Comme le montrent ces textes insulaires sur la diaspora, la géopolitique, les hybridations et migrations, entre autres, la production littéraire joue donc un rôle fondamental dans la mesure où elle dit la pluralité, les problématiques et les ambiguïtés identitaires de l’océan Indien et nous aide à comprendre les formes de modernité qu’il produit. Les écrivains de la zone témoignent ainsi, d’une part, d’un regard et d’une conscience historiques particuliers quant à la manifestation de nouvelles formes de globalisation à travers « des allégories qui condensent des histoires d’empire, de l’humain et de l’environnement plus qu’humain » (DeLoughrey 2019 : 28). D’autre part, ces exemples littéraires s’inscrivent dans cette dynamique de complexifier les perspectives – cette méthodologie élargie et différenciée induite par le modèle de l’océan Indien en tant que ‘complicating sea’ (Hofmeyr 2012).
Conclusion
Selon John Gillis, il est grand temps de placer les écotones au centre de l’attention (Gillis 2012 : 159) afin d’éclairer d’autres espaces de référence et d’autres imaginaires. Quant à notre période de crise écologique, l’historien souligne ceci : « Si le changement doit arriver, alors, il devra venir de l’extérieur. Il devra venir des marges [ou des bords] » (Gillis 2012 : 164). Il nous semble que les productions littéraires insulaires jouent un rôle similaire ici. En effet, si l’on peut les considérer comme des laboratoires d’une pensée démocratique et des préfigurations créatives de l’avenir, c’est parce qu’elles résistent à des idéalisations d’un en-commun vitaliste et bienheureux et se présentent davantage sur le mode écotonal, la zone de contact, de conflits, des frontières instables.
Ses écrivains écrivent depuis des marges bien particulières, comme le dit Ananda Devi dans son récent texte Fardo (Devi 2020) où elle affirme que « [t]oute [s]a vie, [elle a] vécu sur des frontières ; culturelles, linguistiques, géographiques » et qu’elle a « toujours cru en l’énergie créatrice des points de rencontre et des lignes de faille, cette tension nourricière des identités multiples » (Devi 2020 : 14). Devi met certes en avant le caractère intrinsèquement hétérogène de toute identité, mais c’est bien dans l’espace-temps exigu, dense et condensé de l’île que la perception et le vécu de cette multiplicité identitaire semblent plus évidents, plus inévitables qu’ailleurs. C’est en son sein qu’on peut peut-être échapper plus difficilement qu’ailleurs à ces « points de rencontre » et ces « lignes de faille » – aux résultats souvent incertains.
Si l’océan Indien est un espace-temps maritime qui complexifie nos références habituelles sur le plan historique, culturel, social, artistique et littéraire, s’il nous incite à nuancer nos interprétations des histoires (post)coloniales, à nous ouvrir à d’autres lectures transnationales, enfin à repenser les circulations, la diaspora et les phénomènes qui en émanent, il nous oblige également à élargir nos axes de recherche, par exemple via les études post-nationales, les post area studies, les relations Sud-Sud. Il peut offrir un aperçu de l’évolution du monde dans lequel nous vivons au début du XXIe siècle, avec ses processus de « déterritorialisation » (Appadurai 1996) et de « transnationalisme mineur » qui privilégient des « structures de réseaux latérales et non hiérarchiques » sur « les relations binaires et verticales » habituelles (eds. Lionnet & Shih 2005 : 2). Et les îles – ces lieux-monde caractérisés en effet par une certaine opacité (Glissant 1990 : 209 ; DeLoughrey 2019 : 11) – jouent un rôle particulier dans cette « complexification » puisqu’elles constituent des sites en miniature de communautés en formation, historiques et présentes.
Les auteurs insulaires, quant à eux, en se fondant sur des territoires et des peuples avec une longue expérience de l’interculturel, mettent en avant une « identité ancrée et en voyage » qui est pensée comme « un mouvement de balancier, de va-et-vient, entre les continents et l’île, l’île et le monde insulaire » (Vergès & Marimoutou 2005 : 28). Dans leur quête de réappropriation du territoire, ils stimulent l’imagination, pensent le déplacement vers et depuis l’ailleurs, dressent de nouvelles cartographies des possibles. Car, pour reprendre le propos de Torabully cité plus tôt, ils s’énoncent « à la frontière féconde des codes » pour « partager [un] héritage commun » (Torabully 1992 : 105) et porter les valeurs construites « à la rencontre […] de l’Afrique de l’Inde de Chine et de l’Occident » (Torabully 1992 : 107). Ces auteurs peuvent ainsi décentrer notre regard, élargir notre vision du monde et ouvrir des opportunités de changement, plutôt que de nous enfermer dans la territorialisation imposée par l’impérialisme et le nationalisme postcolonial (Vergès 2003a : 242).
Depuis sa perspective décentrée et doublement périphérique, cette littérature s’ouvre alors à de nouveaux récits de circulation et d’émancipation, à des formes identitaires alternatives, à la création de politiques de solidarité inédites. Nul doute donc qu’elle investit non seulement la mouvance éthique de la littérature-monde, mais qu’elle s’inscrit dans une pensée critique originale du Sud qui articule l’idée des mondes en mouvement avec l’appel à la multiplication des mémoires et la nécessité de politiques de restitution (Arnold 2021). Il s’agit d’une pensée et d’un imaginaire qui se met à « tisser » – pour reprendre le titre révélateur d’un récent texte de l’écrivain malgache Raharimanana (2021) – une nouvelle éthique relationnelle : de nouvelles relations transnationales, non seulement océaniques (Vergès 2017), mais également afropolitaines (Mbembe 2005) et afrotopiques (Sarr 2016), et plus largement planétaires.
Ainsi, l’océan Indien nous montre en effet que loin du monde, l’île est le monde. Et loin du monde, l’île nous dit le monde.
Remerciements
Intérêts concurrents
L’auteur déclare ne pas avoir de relations financières ou personnelles qui l’auraient influencé de manière inappropriée dans la rédaction de cet article.
Contributions de l’auteur
M.A. est le seul auteur de cet article.
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Voetnotas
1. Cité par DeLoughrey (2019 : 18). Les traductions des références anglaises dans cet article sont les miennes.
2. Aussi appelée ‘nissonologie’, en référence à l’article fondateur d’Abraham A. Moles (1982).
3. Du côté littéraire et même philosophique, la relation – insulaire et plus planétaire – est bien sûr associée de façon indélébile aux écrits d’Édouard Glissant. L’un des émules actuels de cette pensée est le Sénégalais Felwine Sarr (2016), réinvestissant la relation glissantienne à partir de l’Afrique.
4. Notons que de telles déclamations éclectiques sont à l’image du symbolisme de la « maison chamarrée » de son premier roman, Le portrait Chamarel (Patel 2001), un texte qui explore les complexités du métissage et les tensions de la multi-appartenance dans l’île. Métonymique, ladite maison y est investie comme un espace autre, un lieu de « désordre » insolite, de diversité, de gestation, d’ouverture pour des personnages qui tentent de s’émanciper des déterminismes sociaux.
5. Si d’autres poètes insulaires s’interrogent aussi sur cette pluralité linguistique, ils le font parfois sur un mode plus inquiet et conflictuel. Ainsi, dans son texte « L’Oriflamme léthargique », le Réunionnais Riel Debars « invoque [la] terre de babel » et dit le « bazar d’alphabets effacés » (cité par Vergès & Marimoutou 2005 : 13).
6. Gillis, de son côté préfère à la notion de « bordure » (edge) celle de la « marge » (margin), en raison de sa plus grande ouverture, sa fluidité spatiale, sa temporalité cyclique, sa circularité, son potentiel communicatif, son habitabilité (Gillis 2014 : 164). Pour le chercheur, la plage constitue une « marge » (ou un bord) classique, la côte fortifiée une « bordure ».
7. À noter cependant que les modèles de créolisations dans l’océan Indien diffèrent de ceux dans les Caraïbes (voir par exemple Lionnet 1993 ; Vergès & Marimoutou 2005).
8. Le projet interdisciplinaire “Ecotones: Encounters, crossings, and communities, 2015-2022”, initié par Judith Misrahi-Barak, Thomas Lacroix et Maggi Morehouse, a mené à une série de manifestations scientifiques dans plusieurs pays. Voir: https://emma.www.univ-montp3.fr/fr/valorisation-partenariats/programmes-européens-et-internationaux/ecotones.
9. Notons qu’une telle conception de modernités alternatives s’écarte des visions romantiques comme le mythe du continent perdu de la Lémurie qui véhicule la nostalgie d’une pré-modernité vierge.
10. Notons toutefois qu’au-delà d’un tel portrait pessimiste (quoique non victimaire) chez Devi (qui résonne en écho avec de nombreux textes et films de banlieues), on trouvera aussi d’autres voix insulaires, par exemple dans Sensitive de Patel où ces travailleuses chinoises sont considérées comme étant « un peu à la fois les esclaves et les engagées d’aujourd’hui » (Patel 2003 : 41) – investissant par-là le récit diasporique sur le monde de la longue durée et la comparaison intercommunautaire.
11. Adaptée par Vergès pour l’océan Indien, la notion a été élaborée antérieurement par Homi Bhabha, p. ex. dans son ouvrage séminal The Location of Culture (Bhabha 2008 : xvi).
12. On peut penser, entre autres, à Frères migrants (Chamoiseau 2017).
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